Ti-Joe

 

Ti-Joe ne parlait pas français et moi je ne parlais pas créole. 

Malgré tout, c’est grâce à lui que j’ai pu rencontrer et découvrir cette nature et ces gens. En charge de me déplacer sur ces routes rocambolesques, son pickup nous aidait à démystifier si c’était la route qui traversait la rivière ou la rivière qui reprenait sa route. 

C’est finalement entre les longs silences paisibles, les montagnes pointées du doigt et les sandwichs aux œufs qu’il m’a permis de faire les photographies qui suivent. 

Merci pour toute cette route partagée à tes côtés.

Jonathan Mercier

 

 

au coeur du changement

10 ans à travailler main dans la main

En janvier 2011 débutait le soutien au programme Agriculture durable dans les montagnes du Nord-Est d’Haïti de l’IRATAM, une première collaboration du Carrefour de solidarité internationale dans le département du Nord-Est d’Haïti qui visait à soutenir la mise en place de deux coopératives caféières.

Les prémices d’une longue relation avec l’Institut de recherche et d’appui technique en aménagement du milieu (IRATAM), une organisation non gouvernementale qui œuvre auprès des coopératives agricoles du Nord-Est d’Haïti afin d’améliorer la production, la conservation, la transformation et la commercialisation des aliments dans une approche d’agriculture durable adaptée aux besoins et aux réalités propres à la région.

Dès lors, l’établissement d’un partenariat à long terme dans une perspective d’égal à égal est apparu comme une priorité pour nos deux organisations, et ce, afin d’aider pleinement les populations locales à relever les défis qui se dressaient devant eux.

Depuis, les deux organisations ont évolué, main dans la main, cherchant toujours une façon d’amener l’autre à grandir et à s’accomplir pleinement, et ce, dans la poursuite d’un objectif commun, celui de bâtir un monde plus juste, solidaire et durable. 

Si on demande à Carmelot Languerre, agronome pour l’IRATAM, de décrire en quelques mots le partenariat qui existe entre le Carrefour de solidarité internationale (CSI) et son organisation depuis plus d’une décennie, il vous répondra certainement: « confiance, respect et transparence ». Et il ajoutera qu’« en dépit des vingt mille lieux qui nous séparent, on se sent comme une vraie équipe ». 

En dépit des vingt mille lieux qui nous séparent, on se sent comme une vraie équipe.

Une solidarité qui se traduit notamment par une reconnaissance réciproque des expertises et des richesses culturelles et sociales dans le développement et la coordination de la programmation ainsi que par un réel partage des savoirs, et ce, dans une perspective de renforcement mutuel. Parce que nous croyons qu’ensemble, nous pouvons aller encore plus loin!

D’ailleurs, c’est grâce à la forte concordance des projets et des besoins prioritaires des populations que toutes et tous sont engagé·e·s à assurer la mise en œuvre des activités, et ce, malgré les crises ayant affligé le pays dans les dernières années. Le projet représente même une voie privilégiée par les populations locales pour sortir du cercle vicieux de la pauvreté et arriver à vivre avec une plus grande dignité.

 
 
 
 
 
 
 

Québec en Haïti: un lien de solidarité durable

Reconnaissant que les changements climatiques contribuent à accroître la pauvreté et que les pays forts émetteurs de gaz à effet de serre ont le devoir de soutenir l’adaptation des pays les plus vulnérables aux impacts de cette crise, le gouvernement du Québec s’est engagé à soutenir l’action climatique internationale. Pour ce faire, il a, entre autres, lancé en 2016 le Programme de coopération climatique internationale. Ce programme a permis, jusqu’à présent, d’appuyer financièrement quelque 37 projets de solidarité climatique. Ces initiatives, portées par des organisations québécoises, ont été implantées dans une douzaine de pays. Le Carrefour de solidarité internationale fait partie des bénéficiaires de ce programme.

Les changements climatiques heurtent de plein fouet les pays du monde entier et fragilisent leurs populations. Paradoxalement, les pays les plus durement touchés sont souvent ceux qui émettent le moins de gaz à effet de serre dans le monde. C’est le cas en Haïti… Devant un tel constat, nous avons le devoir d’agir.

C’est pourquoi, depuis 2017, sept projets réalisés à Haïti ont reçu un financement totalisant 5,6 millions de dollars dans le cadre du Programme de coopération climatique internationale. Cet investissement s’inscrit dans le long historique de solidarité qu’entretient le Québec avec Haïti et est un bel exemple de notre engagement envers la coopération climatique internationale.

Dans un contexte où les changements climatiques exacerbent l’insécurité alimentaire des populations les plus vulnérables, un projet comme Jaden nou, se vant nou est essentiel. Il contribue, de façon concrète, à sécuriser les méthodes de culture des populations paysannes du Nord-Est d’Haïti en les accompagnant dans l’amélioration de leurs pratiques agroforestières. Il illustre parfaitement la manière dont les organisations québécoises et haïtiennes peuvent collaborer pour l’essor d’un monde plus juste, plus solidaire et plus durable.

Benoit Charette,
ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, ministre responsable de la Lutte contre le racisme et ministre responsable de la région de Laval

 

Haïti, pays vulnérabilisé

Payer le prix des actions des plus riches

Si la crise climatique nous menace toutes et tous, elle affecte de manière bien inégale les différentes populations. Ce sont, en effet, souvent les groupes ayant le moins contribué aux changements climatiques (pays du Sud, femmes, peuples autochtones) qui en subissent les plus lourdes conséquences. 

Par exemple, bien qu’Haïti ne soit responsable que de 0,03% des émissions mondiales des gaz à effets de serre, il figure au 3e rang des pays les plus vulnérables aux changements climatiques: une injustice profonde dont les pays du Nord sont responsables.

Les conséquences, le pays les subit au quotidien: saisons des pluies sans pluie, récoltes perdues, plus grande dépendance aux importations. À cela s’ajoutent les cyclones de plus en plus violents et fréquents, l’augmentation de la température moyenne et la hausse du niveau moyen de la mer. On estime les pertes économiques annuelles moyennes causées par ces phénomènes à près de 400 millions de dollars.

L’urgence climatique est sans équivoque en Haïti et la dégradation accélérée des ressources naturelles – dont les sols, l’eau et les forêts – en témoigne. La capacité productive des terres s’en retrouve d’ailleurs menacée, contribuant à l’accroissement de l’insécurité alimentaire. Devant ce constat, les petits producteurs familiaux n’ont ni les ressources, ni accès aux connaissances techniques nécessaires à un changement de pratiques agricoles.

Pauvreté et insécurité alimentaire: vivre au gré des aléas climatiques

Plus pauvre pays des Amériques, Haïti affiche un indice de développement humain inférieur à la moyenne des pays du groupe à développement humain faible (0,51 en 2019), le classant parmi les 13 pays les plus fragiles au monde. Lorsqu’on prend en compte le niveau d’inégalité au sein de sa population, le pays chute encore plus bas au classement mondial (150e sur 152). 

Soulignons d’entrée de jeu que cette problématique est complexe et qu’il est donc ardu, voire impossible d’en saisir pleinement les causes. On peut tout de même constater qu’il y a une corrélation étroite entre la pauvreté d’un pays et sa vulnérabilité aux catastrophes naturelles. En effet, l’enchaînement de désastres (séismes, ouragans, cyclones) a appauvri les Haïtien·ne·s, qui vivaient déjà dans la précarité. Haïti se retrouve donc prisonnier d’un perpétuel cycle de recommencements.

Ce constat n’est pas donc étranger à la disparité démesurée des revenus au sein de sa population: 1% des plus riches disposent 50 fois plus de richesse que les 10% des plus pauvres. Des inégalités importantes qui s’observent notamment entre les milieux ruraux et urbains. Selon la Banque mondiale, près de 70% des ménages ruraux sont considérés chroniquement pauvres – donc ayant peu de chance d’améliorer leurs conditions de vie – versus environ 20% dans les villes. Une triste réalité qui affecte tout spécialement les femmes, qui sont encore confrontées à des discriminations dans l’accès aux ressources de production, à l’emploi et à la prise de décisions.

Et l’instabilité sociale des derniers mois a eu un impact majeur sur l’économie et les moyens de subsistance, entraînant une perte ou une pression sur les sources de revenus, tout particulièrement dans les secteurs de l’économie informelle et de l’agriculture. À cela s’ajoutent les faibles récoltes de l’an dernier (insuffisantes pour assurer la sécurité alimentaire de 80% du département Nord-Est), le déclin économique (inflation, détérioration du taux de change, réduction des transferts de fonds de la diaspora) et les répercussions des désastres naturels qui ont frappé Haïti. La capacité des ménages ruraux à accéder aux denrées alimentaires sur les marchés, qui est étroitement liée au revenu agricole (près de 80% d’entre eux en dépendent), a donc été grandement réduite au cours des deux dernières années.

Résultat: on estime à quelque 4,4 millions le nombre d’Haïtiens qui seront en besoin d’une action urgente en 2021. Dans le département du Nord-Est, où l’IRATAM intervient, cela représente près de 50% de la population, soit 196 983 personnes. De ce nombre, on prévoit que près d’un ménage sur trois aura d’importants déficits de consommation alimentaire ou arrivera à réduire l’importance de ces déficits en ayant recours à des stratégies d’adaptation d’urgence (ex. abattage du couvert forestier, production de charbon de bois), dont les conséquences sont extrêmement dévastatrices pour l’environnement. Une triste réalité qui contribue à accroître la vulnérabilité aux changements climatiques.

 

L’agriculture familiale: moteur de résilience et de développement

La faible production agricole locale en Haïti, estimée à 42% de l’apport alimentaire national, rend le pays nettement dépendant des importations de produits alimentaires. Voilà l’un des facteurs qui affectent négativement sa sécurité alimentaire. À ce chapitre, le pays se classe au 105e rang sur 113 avec un indice global de 38,5.

Ce qui explique cette faible productivité: d’une part, le manque de ressources et d’accès au crédit et, d’une autre, la dégradation accélérée des écosystèmes (à cause des pratiques agricoles néfastes cumulées aux changements climatiques).

À cela s’ajoute l’exode rural (ou agricole) massif des trois dernières décennies – des paysan·ne·s en quête d’un avenir meilleur – qui a considérablement réduit la main-d’œuvre agricole.

La problématique de la sécurité alimentaire, qui est au cœur des préoccupations en Haïti, doit passer par le développement des communautés rurales et la nécessaire adaptation du milieu agricole à la réalité des changements climatiques. 

Se tenir debout

De la culture du café à l’agroforesterie

Dans le département du Nord-Est d’Haïti, si vous demandez son âge à un·e paysan·ne, il vous répondra très probablement non pas en années, mais en « récoltes de café ». En effet, cette culture fait tellement partie de la vie quotidienne des agriculteur·rice·s que ces récoltes servent aujourd’hui de mesure du temps.

Toutefois, cette pratique usuelle pourrait être amenée à changer comme la culture du café est grandement affectée par les aléas climatiques, qui imposent des conditions bien inhospitalières (sécheresses, forts vents) pour une plante aussi fragile que le caféier.

Conséquence: les producteur·rice·s locaux peinent à répondre à leurs besoins fondamentaux. Plusieurs techniques agricoles et produits utilisés ne fournissent plus et ne fourniront probablement plus assez pour nourrir leur famille.

Face à ce constat, un « changement de culture » s’est imposé. En ce sens, le Carrefour de solidarité internationale (CSI) et son partenaire local, l’Institut de recherche et d’appui technique en aménagement du milieu (IRATAM), ont décidé d’accompagner la transition de la culture centrée sur le café au profit de nouvelles pratiques agroforestières plus diversifiées et adaptées à la nouvelle réalité.

Des plantes résistantes aux conditions extrêmes qui contribuent à l’amélioration des sols, favorisent la rétention de l’eau et créent un couvert forestier seraient dorénavant intégrées aux parcelles. Pour un peuple qui compte les années en récoltes de café, c’est un changement énorme qui demande une transition profonde des habitudes de vie.

C’est donc dans l’optique d’accompagner les populations locales à surmonter ce défi que l’initiative Jaden nou se vant nou (Notre jardin, notre sécurité alimentaire, en créole) est née. Élaboré et mené en étroite collaboration avec l’IRATAM et le Centre universitaire de formation en environnement et développement durable (CUFE) de l’Université de Sherbrooke, ce projet de trois ans visait à accroître et à stabiliser la sécurité alimentaire des populations du Nord-Est d’Haïti grâce à l’implantation d’une production diversifiée, rentable et respectueuse de l’environnement.

Prise en charge locale de la lutte 

Le projet a d’abord misé sur le renforcement des compétences de notre partenaire local quant à l’intégration des enjeux climatiques dans leurs services d’accompagnement destinés aux organisations paysannes. Une orientation qui allait de pair avec notre approche de partenariat axée sur le renforcement mutuel, la complémentarité et le respect de l’autonomie de chacun. De cette manière, la société civile haïtienne avait dorénavant les deux mains sur le volant de la lutte aux changements climatiques: un engagement qui se voulait un gage de pérennité pour le projet.

Par la suite, la mise en commun de l’expertise de l’IRATAM et du CUFE a permis de développer et d’amorcer l’implantation de modèles agroforestiers novateurs et adaptés à la nouvelle réalité dictée par les aléas climatiques et au contexte montagneux du département ciblé. Une transition essentielle qui visait à réduire la vulnérabilité du peuple haïtien – l’une des principales victimes de la crise climatique – grâce à une diversification des sources de revenu et des produits destinés à l’autoconsommation, à une utilisable durable des sols ainsi qu’à une réhabilitation progressive du couvert forestier par le biais de pratiques d’agroforesterie. 

Pour assurer une réelle appropriation de ces changements par le milieu, des volets de formation et de développement des compétences, qui favorisent le transfert des connaissances techniques auprès des membres des coopératives locales. Soulignons notamment l’aménagement de pépinières, la dotation de semences maraîchères, tubercules de gingembre, rejets d’ananas et la création de boutiques d’intrants agricoles, qui ont joué un rôle clé dans l’autonomisation de l’approvisionnement et de la distribution des plants. De cette façon, l’investissement et les risques associés à cette transition – difficiles, voire impossibles à supporter pour leurs membres – sont amoindris. 

Le projet prévoyait également l’appui de la mise en place d’activités de stockage et de mise en marché groupée. Une initiative qui permet aux membres des coopératives de tirer le plus grand revenu possible des productions incluses dans le système agroforestier mis de l’avant, et ce, en dépit de la fluctuation des marchés (les prix des produits baissent généralement lors de la période des récoltes).

Et comme cette transition représente un changement profond des habitudes de vie, une approche progressive est prévue tout au long du projet. Petit à petit, de nouvelles cultures telles que le gingembre, le moringa et le pois congo sont intégrées aux parcelles des producteurs locaux, tout en maintenant celle du café pour assurer leur mobilisation. 

 
 
 
 
 
 
 

L’interdisciplinarité au service des collectivités

La complexité des enjeux actuels en matière d’environnement et de développement durable requiert plus que jamais la contribution de plusieurs disciplines afin de réfléchir et de mettre en œuvre des solutions durables pour le mieux-être des collectivités. Dans ce contexte, le Centre universitaire de formation en environnement et développement durable a pour mission de créer un espace interdisciplinaire de formation et de service à la collectivité, et ce, tant à l’échelle nationale qu’internationale.

En collaboration avec le CSI et les partenaires haïtiens, les étudiantes et étudiants du CUFE ont contribué au renforcement des capacités locales dans le cadre du projet Jaden nou se vant nou en Haïti, notamment, à travers des projets intégrateurs et de fin d’études appliqués et des stages professionnels. Les collaborations étudiantes ont porté sur l’étude approfondie des enjeux des acteurs du milieu agricole au regard de l’adaptation aux changements climatiques, la schématisation de modèles agroforestiers durables ainsi que sur le développement de formation et le transfert de connaissance auprès des acteurs locaux.

Ces collaborations ont non seulement contribué au développement des capacités locales ainsi qu’à la résilience des communautés haïtiennes face aux aléas des changements climatiques, mais aussi à la formation de futurs agents de changements.

Karine Vézina,
Centre universitaire de formation en environnement et développement durable

 

Communauté plus résiliente et mobilisée

L’adaptation : une priorité locale

Bien que l’intégration de nouvelles pratiques agricoles soit difficile dans un contexte comme celui d’Haïti, caractérisé par diverses crises multidimensionnelles (sociale, économique, politique et sécuritaire), l’adaptation aux changements climatiques demeure une priorité pour les communautés locales, qui sont résolues à surpasser les entraves. 

En effet, il n’y a qu’à jeter un coup d’œil aux champs des paysan·ne·s pour le comprendre. Le pois congo, une plante mise de l’avant dans le cadre du projet Jaden nou se vant nou pour sa contribution à la lutte aux changements climatiques, y est de plus en plus présent. En plus d’être adaptée au climat du département, sa culture, qui ne se fait pas à l’arrachée, permet de lutter contre l’érosion en plus d’enrichir les sols en azote.

Pourtant, lorsque mise à l’avant scène par l’IRATAM, peu de paysans ne voulaient s’engager dans cette culture, et ce, en raison du risque que ce changement pouvait représenter. À l’époque, les prix de vente des récoltes étaient relativement faibles en période de moisson, ce qui ne permettait pas aux producteurs de répondre à leurs besoins. La mise en place de fonds dédiés au stockage et à la mise en marché groupée, jumelée à des activités de formation et à une amélioration de l’accessibilité des intrants agricoles, a cependant permis de soutenir cette transition en garantissant un marché profitable pour les récoltes issues de cette culture.

D’une part, les membres ont acquis les compétences nécessaires pour optimiser leur production et, d’autre part, les coopératives ont maintenant un mécanisme à leur disposition pour assurer l’achat des récoltes à leurs membres et générer un gain substantiel. 

Le succès de l’activité lors des campagnes agricoles de 2019 et de 2020 sont notables : le stockage et la mise en marché groupée ont permis de générer des revenus pour les membres et les coopératives, ce qui a grandement contribué à la mobilisation des communautés locales. 

Des services d’accompagnement valorisant la prise en charge locale

Le développement de compétences et le renforcement des capacités de l’Institut de recherche et d’appui technique en aménagement du milieu (IRATAM) et de son personnel en matière d’intégration des notions de lutte aux changements climatiques dans leur approche est sans l’ombre d’un doute l’une des grandes réussites du projet. 

La mobilisation d’étudiant·e·s de l’Université de Sherbrooke dans le cadre de six mandats (projet intégrateur, essais d’intervention, stages) aura permis à quelque 34 employé·e·s intervenant auprès de 12 organisations paysannes (coopératives agroforestières, réseaux de femmes) d’enrichir leurs connaissances et d’accroître leurs capacités d’intervention. Des outils de formation pouvant être utilisés par ces intervenant·e·s ont également été créés dans le cadre de la collaboration avec le Centre universitaire de formation en environnement et développement durable (CUFE). 

L’objectif premier: permettre à l’IRATAM de poursuivre et de bonifier son travail essentiel d’accompagnement des organisations locales, en intégrant à ses services la notion de prise en charge locale de la lutte aux changements climatiques, et de transmettre ce savoir à leurs bénéficiaires. En ce sens, plus de 60 formations ont été données lors d’assemblées locales de coopératives, renforçant les compétences des 479 familles membres des coopératives, dont 228 représentées par des femmes.

On peut dire mission accomplie puisque le discours valorisant l’importance d’effectuer une transition vers des pratiques agricoles adaptées aux aléas climatiques fait son bout de chemin au sein du personnel et les services de soutien offerts intègrent de plus en plus cette notion de prise en charge locale de cette lutte. Cela n’est certainement pas étranger à la valorisation des expertises techniques et scientifiques locales dans le développement des pratiques d’agroforesterie diversifiées et adaptées aux changements climatiques. La grande majorité des employé·e·s (90% des hommes et 80% des femmes) s’est dite satisfaite de ce volet du projet.

Et grâce à son engagement ascendant, l’IRATAM s’impose graduellement comme un acteur clé de changement dans le département du Nord-Est: sa légitimité à intervenir dans la lutte y est dorénavant reconnue. D’ailleurs, la couverture médiatique obtenue, au Québec comme en Haïti, en est un exemple concret. 

Lors de son passage en Haïti, en janvier 2021, La Presse a notamment mis de l’avant le témoignage de Max Joseph Junior, coordonnateur des programmes de l’IRATAM, dans un reportage portant sur les impacts des changements climatiques et, plus récemment, Le Nouvelliste, grand quotidien haïtien, n’a pas manqué de mettre en lumière les initiatives d’adaptation et d’atténuation de l’IRATAM.

Intégration de nouvelles pratiques d’agroforesterie

Autre succès retentissant du projet: la mobilisation grandissante des membres des coopératives agroforestières et des réseaux de femmes dans la lutte aux changements climatiques et la nécessaire adaptation de leurs pratiques agricoles. 

Elle s’observe notamment par la diversification des productions et la hausse du recours à des variétés adaptées dont l’ananas, le pois congo et le gingembre. À la solde des trois ans du projet, ce sont 239 hommes, 191 femmes, 25 jeunes hommes et 30 jeunes femmes qui ont eu recours aux pratiques d’agroforesterie diversifiées et adaptées aux changements climatiques.

Un changement qui a amélioré de façon significative la sécurité alimentaire de leur famille. C’est un modèle agroforestier plus résilient et durable qui se bâti progressivement grâce au travail des partenaires locaux, du CUFE et du savoir-faire paysan.

Parmi les actions mises en place pour en arriver là, soulignons la formation et le soutien direct offerts aux 479 familles membres des coopératives par le biais de l’inauguration de champs-école. À cela s’ajoute la distribution de 131 363 plantules d’arbres et 1 010 lots de drageons et tubercules d’ananas et de gingembre, qui ont été mis en terre dans les parcelles des membres des coopératives et les champs-école. D’une part, ces activités ont permis aux producteurs d’apprendre à maximiser leurs récoltes, mais aussi de constater que ce changement était souhaitable pour leur famille.

Des efforts de sensibilisation ont également été déployés dans les départements du Nord et du Nord-Est d’Haïti. Une vingtaine d’émissions de radio, auxquelles ont notamment participé des membres du personnel de l’IRATAM, ont été produites puis diffusées sur les ondes de Radio Vision 2000, une station du Cap-Haïtien qui rejoint près de 1,5 millions de personnes. Les épisodes ont également mis en lumière le témoignage de délégués des coopératives qui ont partagé des exemples concrets de réalisations.

Et finalement, nous ne pouvons passer sous silence la mise en place d’une boutique d’intrants agricoles, qui a grandement favorisé l’approvisionnement en matériel agricole et la distribution auprès des membres des coopératives en permettant notamment aux paysans d’éviter certains risques liés à l’approvisionnement (agressions, vols, accidents de la route, bris mécaniques, etc.).

Hausse des revenus agricoles grâce à de nouveaux mécanismes de vente

La grande précarité dans laquelle vivent les populations rurales en Haïti doit être prise en compte dans toutes les interventions. Les populations doivent trop souvent se réfugier dans des pratiques agricoles qu’ils savent néfastes (ex: Culture à l’arrachée , abattage du couvert forestier, production de charbon, etc.) pour répondre aux besoins criants de leur ménage. 

La transition vers de nouvelles pratiques agricoles nécessitait donc d’intégrer une approche générant des revenus rapides et suffisants en plus de faciliter l’accès au crédit. La mise en place de fonds de stockage et d’activités de mise en marché groupée jumelée à la consolidation des mutuelles de solidarité de femmes nous est apparue la solution à préconiser. 

Un choix judicieux qui a eu des impacts satisfaisants tant sur le plan humain que comptable. D’une part, ces initiatives ont permis à 142 hommes, 131 femmes, 9 jeunes hommes et 14 jeunes femmes d’accroître leurs revenus tirés de la production des cultures adaptées aux changements climatiques et, d’une autre, aux coopératives et aux réseaux de femmes de constituer des fonds de stockage et de crédit ainsi que de renforcer les mutuelles de solidarité des femmes. 

Le fait de posséder de tels fonds aura contribué grandement à accroître la reconnaissance des coopératives et des mutuelles au sein de leur communauté et la mobilisation de leurs membres, et ce, en plus de consolider les appuis favorables à l’intégration des nouvelles pratiques agricoles.

Précisons qu’avant la mise en place de ces mécanismes, les cotisations des membres étaient utilisées, au fur et à mesure, pour couvrir des dépenses urgentes. Il arrivait même que les coopératives doivent demander une aide supplémentaire de la part de leurs membres ou de l’IRATAM pour couvrir des besoins courants comme l’achat de cahier de gestion, l’achat de bic ou encore certains frais de rencontre. C’est donc un avancement majeur pour les coopératives qui jouissent maintenant d’une plus grande indépendance financière.

 

Exprimer sa solidarité par la philanthropie

Créée en 2012, la Fondation du CSI a pour rôle d’assurer la pérennité des activités de l’organisation et des actions de ses partenaires outre-mer en lui octroyant une plus grande autonomie financière. Au fil des années, ce sont 145 350$ qui ont été consacrés aux actions du CSI menées avec l’IRATAM, dont 56 660$ à Jaden nou se vant nou

Un tel appui n’aurait été possible sans l’apport de précieux·ses allié·e·s, nos donateur·rice·s. À nos côtés depuis la création de l’organisation, M. Guy Laperrière fait partie de ceux et celles qui, par leurs contributions, nous permettent de mener des actions qui ont un impact réel dans la vie de gens d’ici et d’ailleurs.

Pour lui, il est important de prendre part au changement en luttant contre les inégalités mondiales et l’avenue qu’il souhaitait emprunter était la solidarité internationale. L’alliance avec le CSI était donc toute naturelle, d’autant plus qu’il partage plusieurs valeurs communes avec l’organisation: la justice, la solidarité et la collaboration dans une perspective de renforcement mutuel et de partage des savoirs.

Pourquoi faut-il encore donner au CSI?

La situation dans plusieurs pays du Sud, Haïti notamment, paraît si désespérée qu’on peut se demander s’il est encore utile de donner à des organismes de coopération internationale, alors qu’on a l’impression de verser de l’eau dans un puits sans fond et que notre don ne sert à rien.

Je me pose chaque année la question et comme ça fait plus de 40 ans que année après année, je fais un don toujours plus grand à la Fondation du CSI, je me la pose plus que jamais.

Il faut lire, cependant, le rapport annuel du CSI pour se rendre compte que l’organisme travaille sur le terrain, que ce soit au Mali, au Pérou ou en Haïti. Des partenariats solides sont établis, les liens sont tissés. Plus important encore: les mentalités. Or, le Carrefour de solidarité internationale a ici, dans notre région de l’Estrie, tout un programme éducatif, particulièrement dans les écoles secondaires. C’est là qu’on forge les citoyens de demain et qu’on les éveille à la solidarité internationale.

La solidarité: c’est le mot clé. La solidarité, le terrain, une équipe engagée et tout cela, sans relâche depuis bientôt 50 ans. Voilà pourquoi je continue à donner.

Guy Laperrière

Grandir pour devenir foncièrement meilleur

Pas à pas vers une transition pérenne

En Haïti, certaines pratiques agricoles, notamment la culture du café, sont fortement ancrées dans les coutumes et les traditions locales et il importait d’en tenir compte dans l’accompagnement des changements de comportements. Nous avons rapidement compris que pour rallier les ménages ruraux autour de nouvelles pratiques agricoles, il était préférable d’adopter une stratégie pas à pas. 

En ce sens, nous avons introduit graduellement de nouvelles cultures, qui répondaient aux besoins (financiers et alimentaires) des paysan·ne·s et de leur famille, tout en maintenant un appui aux pratiques traditionnelles telles que la culture caféière. 

Cette stratégie était soutenue par quelques initiatives visant à réduire les risques associés à cette transition et à maximiser les retombées générées par les nouvelles pratiques: l’offre de formations, l’installation de champs-école, l’ouverture d’une boutique d’intrants agricoles, la mise en place de fonds de stockage et d’activités de vente groupée et le soutien aux mutuelles de solidarité. 

À l’écoute des besoins locaux pour répondre efficacement aux problématiques

Autre constat: la grande concordance entre le projet et les besoins prioritaires des populations aura permis d’assurer sa continuité malgré les nombreuses entraves rencontrées. Convaincues de la pertinence des changements mis de l’avant dans le cadre du projet, les communautés ciblées ont su faire preuve de créativité et de résilience, de sorte à adapter leurs approches. 

L’accroissement de l’instabilité sociale et de la fréquence des manifestations et pénuries de carburant a notamment contraint l’IRATAM à décentraliser une portion de sa structure. En embauchant des animatrices originaires des différentes sections communales de la zone d’intervention, l’organisation s’est dotée d’une présence sur le terrain qui a été un précieux atout lorsqu’il n’était pas possible pour le personnel de l’IRATAM de se déplacer.

Potentiel mobilisateur du mouvement coopératif

Au cours des trois ans du projet, nous avons pris conscience du grand potentiel de mobilisation et de passation d’information que représentent les coopératives agroforestières. C’est pourquoi celles-ci s’impliquent de plus en plus dans la gestion de projets et d’initiatives, notamment les boutiques d’intrants agricoles.

Dans ce cas, l’objectif était de favoriser l’approvisionnement des coopératives et de leurs membres en matériel agricole, semences, tubercules et drageons, tout en donnant une plus grande autonomie aux coopératives. De plus en plus de soutien pourrait ainsi transiter par ces structures.

Réitérer notre engagement

Une transition à poursuivre

Si l’impact du projet Jaden nou se vant nou est de plus en plus perceptible en termes de changements de comportements, il n’en demeure pas moins que l’adaptation essentielle vers des pratiques adaptées à la nouvelle réalité dictée par les aléas climatiques doit se poursuivre et que des organisations locales doivent être aux commandes de cette transition. La reconnaissance de l’Institut de recherche et d’appui technique en aménagement du milieu (IRATAM) comme un acteur clé laisse présager de belles perspectives pour la suite du projet et la pérennisation des actions soutenues par le Programme de coopération climatique internationale.

Les trois dernières années auront permis de créer une base solide sur laquelle bâtir un modèle durable et efficient d’agriculture en étroite collaboration avec le peuple haïtien et nous sommes fièr·e·s de pouvoir être aux côtés de l’IRATAM pour relever ce défi.

En effet, le soutien financier du gouvernement du Québec, dans le cadre du Plan d’action 2013-2020 sur les changements climatiques, a été reconduit pour une période de trois ans. Le CSI pourra alors mettre à profit les apprentissages et les succès réalisés lors des dernières années d’intervention afin de s’attaquer au défi de la transition. 

Durant cette deuxième phase, nous miserons sur l’intégration de la banane plantain, culture bénéfique et rentable pour soutenir une transition dans l’affectation des terres non boisées, en association progressive avec divers arbres et arbustes fruitiers et certaines variétés de pois. La méthode PIF (plants issus de fragments de tiges) sera utilisée pour accélérer la production de plants et soutenir l’intégration rapide de cette culture.

Le projet prévoit également un engagement accru des membres des coopératives agroforestières visées dans des activités de bioéconomie, notamment la transformation et la vente de produits d’agroforesterie (renforcement des capacités).

Voyager à travers l’image

Le Carrefour de solidarité internationale (CSI) a collaboré avec le photographe professionnel estrien Jonathan Mercier pour la réalisation de cette exposition photo. 

Le photographe, qui a séjourné en Haïti à l’hiver 2018, souhaitait, à travers une série de clichés percutants, permettre aux gens d’ici de voyager dans le département du Nord-Est et ainsi de découvrir la réalité imposée par les changements climatiques. Il avait également le souhait de mettre en lumière le travail accompli par l’Institut de recherche et d’appui technique en aménagement du milieu (IRATAM) et le CSI grâce au financement du Programme de coopération climatique internationale.

L’exposition, imprimée sur toiles, a notamment été diffusée au Collège de Champlain, à l’Université de Sherbrooke ainsi que lors d’événements organisés par le CSI.

Remerciements

Un projet comme Jaden nou se vant nou ne serait pas possible sans l’appui de personnes et d’organisations qui croient en notre mission. C’est donc avec fierté et reconnaissance que nous souhaitons remercier nos précieux alliés.

Merci à l’Institut de recherche et d’appui technique en aménagement du milieu qui est au cœur de ce projet et avec qui nous avons la chance de collaborer depuis plus de 10 ans déjà, au Programme de coopération climatique internationale et au ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec qui ont fait preuve de souplesse et de compréhension pour mener à bien ce projet dans un contexte si complexe, au Centre universitaire de formation en environnement et développement durable de l’Université de Sherbrooke pour leur engagement exceptionnel à soutenir le développement de compétences et de capacités chez notre partenaire locale et même au sein de notre propre organisation ainsi qu’à la Fondation du Carrefour de solidarité internationale, à la Fondation Louise-Grenier et à la Fondation internationale Roncalli qui ont appuyé financièrement la mise en œuvre du projet. 

 

Partenaire principal

Ce projet est réalisé grâce à la participation financière du gouvernement du Québec dans le cadre du Programme de coopération climatique internationale et rejoint les objectifs du Plan pour une économie verte 2030.

La mise en ligne du récit numérique a été possible grâce au soutien du gouvernement du Québec, dans le cadre du Plan de soutien aux organismes de coopération internationale.

 

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