Un choc culturel et des dilemmes intérieurs
UN CHOC CULTUREL ET DES DILEMMES INTÉRIEURS
12 janvier 2024 par Ella Noël
Après six heures dans l’auto à suivre des chemins difficiles et étroits en pleine noirceur et une nuit de sommeil perturbée par des bruits de ventilateurs, de cuisine, et de moteurs de motos, j’étais enfin en bateau, longeant la rivière, en route pour notre visite de la communauté de Monte Carmelo. Enfin rendues, on assiste à l’assemblée générale de la communauté avant de pouvoir présenter notre atelier. Celui-ci portait sur la violence contre les femmes, sujet visiblement moins attirant que l’électricité. Les hommes étaient rarement présents à nos présentations sur ce thème – mais là, tous mobilisés pour l’assemblée générale, nous avions la chance d’aborder le thème de la violence contre la femme devant plus de 80 personnes, hommes et femmes.
Quand on me demande ce qui m’a le plus marqué de mon séjour au Pérou, c’est cette visite qui me vient à l’esprit. C’est la manière dont les femmes étaient silencieuses et gênées, contrairement aux hommes qui s’exprimaient sans honte ni hésitation sur les thèmes de sexualité, de violence et de genre. C’est la façon dont les hommes me regardaient de haut quand je leur distribuais le matériel. Ce n’était pas la première fois que je me retrouvais perdue dans une situation où la culture et les normes sociales allaient à l’encontre de mes valeurs politiques et sociales.
Le lendemain matin, c’était le grand jour de la formation politique pour les femmes sur laquelle nous avions passé plus d’un mois à travailler. Les participantes venaient d’un peu partout dans la région et avaient fait jusqu’à 5 heures de transport pour assister à la formation. Elles étaient toutes des « leaders politiques » dans leur communauté – c’est-à-dire des femmes qui promeuvent le changement social, que ce soit à travers leur emploi ou leurs engagements volontaires. Après mon expérience du jour précédent, c’était une bouffée d’air frais de voir des femmes mobilisées et engagées à changer, peu à peu, les lois et les normes qui étouffent beaucoup de filles et de femmes au Pérou, et dans la région de Cusco en particulier. Leur courage face à un tel défi m’a beaucoup fait réfléchir à propos de ma propre expérience comme activiste, et aux obstacles qui empêchent beaucoup d’individus de s’impliquer dans les mouvements sociaux, même au Canada.
UNE EXPÉRIENCE DE GROUPE, ET LA FORMATION D’AMITIÉS
Mon expérience de stage était particulière – pour la première fois, le Carrefour de solidarité internationale et ayni Desarrollo ont décidé d’envoyer des stagiaires canadiens et péruviens à Quillabamba. Nous étions trois canadiennes et trois péruvien.nes (de Lima). C’est difficile pour moi d’expliquer à quel point le groupe que nous avons formé fut central à mon expérience. Non seulement je vivais ma propre découverte à travers mes ateliers, mes repas avec ma famille d’accueil et mon travail sur le terrain, mais je témoignais en même temps de la découverte que mes trois collègues péruviens, n’étant pas sortis de leur pays, n’ayant pas changé de langue, étaient en train de vivre eux aussi. Ils nous parlaient de leur vie à Lima, du trafic, des universités, des coutumes, des caractéristiques d’une grande ville, que Quillabamba, une petite ville de 26 000 habitants à 5 heures de route de Cusco, ne possédait pas.
Néanmoins, leurs connaissances des enjeux autour de l’avortement, la contraception, la violence envers la femme, le manque des services dans les communautés autochtones, étaient évidemment plus approfondies que les nôtres. Ma collègue péruvienne m’a énormément aidé dans l’organisation de nos ateliers pour les femmes sur la participation politique – elle corrigeait mes textes, m’expliquait quels sujets étaient tabous et comment les aborder. C’est le rêve de n’importe quel étranger : avoir un guide, quelqu’un qui connait la culture et la langue et qui t’aide à paraitre un peu moins idiot, un peu moins naïf, et un peu moins ignorant.
Mais nos trois collègues péruviens n’étaient pas que nos guides, ils sont aussi devenus nos amis. Mon espagnol s’est amélioré à travers nos conversations de groupe, nos sorties, et nos voyages ensemble. Il y avait un véritable intérêt entre nous à comprendre et se faire comprendre, et c’était assez pour que je me pousse à fond dans l’apprentissage de l’espagnol et pour qu’eux arrivent à nous dire « à la prochaine » devant le taxi qui allait nous amener à l’aéroport.